NDOP OU ZE NDOUOP : ENTRE TRADITION ET MODERNITE

NDOP OU ZE NDOUOP : ENTRE TRADITION ET MODERNITE,

IMPACT DE L’INDUSTRIALISATION SUR SA PERCEPTION DANS LE GROUPEMENT BAYANGAM

Par L’Association des Ressortissants Bayangam de Nsimeyong et ses Environs (A.R.BA.N.E)

INTRODUCTION

Etoffe la plus emblématique des peuples Grassfields, le Ndop encore appelé Ze Ndouop en langue Bayangam, porteur de message, riche en symbole et chargé d’histoire est un patrimoine culturel Bamiléké. Il reflète une tradition textile perpétuée depuis des générations. Cependant, sa fabrication et son usage ont subi une libéralisation altérant quelques fois l’un des plus prestigieux symboles du patrimoine d’un peuple notamment sa charge historique et socioculturelle qu’il importe de valoriser.

« Comment les mutations survenues dans la chaîne opératoire de fabrication du « Ze Ndouop » ont-elles impactées sur sa perception et son usage contemporaine ? »

L’Association des Ressortissants Bayangan de Nsimeyong et ses Environs (A.R.BA.N.E) a porté une réflexion sur cette thématique centrale et organisera le conseil à ce sujet autour des points saillants suivants :

1- Présentation du Ze Ndouop : origine, iconographie et usage.

2- Fabrication du Ze Ndouop : De l’artisanal à l’industriel.

3- Impact sur la perception : du symbole culturel à un vêtement commun.

 

1- Présentation du « Ze Ndouop »

• Présentation

Le Ze Ndouop est une étoffe constitué de bandes étroites de tissus épais en coton tissées d’environ 5 cm de large cousues bord-à-bord puis décorée de dessins brodés. Avec la queue de cheval et le diadème (chapeau de plumes), il fait partir des symboles traditionnels Bamiléké, celui des sociétés secrètes, de la noblesse et des cérémonies rituelles et funéraires. C’est un élément fondamental de la culture des peuples Grassfields du Cameroun. A cet effet, il est classé depuis le 20 Février 2020 par le Ministère des Arts et de la Culture (MINAC) comme élément du patrimoine culturel immatériel du Cameroun. Notons qu’antérieurement le Comité National Olympie camerounais a consacré depuis plusieurs décennies le Ndop du Nord-ouest comme tenue officielle de nos valeureux athlètes aux olympiades internationales et mondiales.

• Origine du Ndop

La présence du Ndop dans les contrées Grassfields remonte au 19^e siècle. Ce tissus fut utilisé comme monnaie d’échange entre les peuples Grassfields et ceux du Nigeria jusqu’au 20^e siècle où la monnaie d’étoffe et autres cauris furent remplacés par la monnaie papier.

Le Ndop typiquement camerounais doit son origine au roi NJOYA qui débuta sa production à Foumban. Dans les années 1920, d’autres centres de productions virent le jour à « Bandjoum » et à « Baham ».

• Iconographie du Ndop

Le vocabulaire graphique du Ndop obéit à des codages importants et variées. Les motifs figurant sur ce tissus sont très représentatif du rapport de l’Homme avec la nature et l’au-delà (lune, soleil, étoile, animaux …). A travers ses formes géométriques (losange, carré, cercle, croix…), ils évoquent l’architecture, la vie et la fécondité. Tout en indiquant une société très hiérarchisée, ces motifs montrent notre engagement à la protection ou la préservation de nos us et coutume ainsi qu’à la croyance en un être suprême appelé « Si ».

Le tableau ci-dessous illustre quelques significations de ces motifs.

Motifs	Significations
1)    Les cercles	– Représentent le cycle de la vie et de la réincarnation, – Matérialisent la barrière ou le passage de la vie à l’au-delà. – Leurs centres indiquent un regroupement autour d’un être suprême appelé « Si ».
2)    Les points	– Représentent les vivants ou la vie.
3)    Les vides	– Absence de vie ou les ancêtres défunts ou encore les vivants de l’au-delà.
4)    Les losanges	Représentent la femme, symbole de la procréation, de la fécondité et de la vie. Ils contiennent des liquides représentant le fluide de procréation génératrice de la vie.
5)    Les traits sinueux	Représentent les méandres en les incertitudes de la vie.
6)    Les anneaux concentriques (Circulaire, triangulaire ou rectangulaire)	– Traduisent une société très hiérarchisé organisé autour d’un roi « Fô » gardien et garant de nos us et coutumes. – L’attachement à la tradition et notre engagement à protéger et à préserver l’héritage coutumier ancestral.
7)    Croix	Représentation fondamentale traduisant le croisement des routes, la division de l’espace, les points cardinaux…
8)    Les effigies d’animaux féroces et venimeux et autres plantes	– Traduisent la puissance, la force et le curage – La tortue représente la sagesse, l’adresse, la prudence. – Les gousses de cola représentent le partage, la solidarité.
9)    Les couleurs	– Le blanc indique la pureté et le bleu indigo traduit l’eau symbole de la vie sur terre.

 

En bref, le Ndop symbolise la royauté, la noblesse et les rituels. Ses multiples motifs graphiques représentent les fondements de la cosmogonie de la société des Grassfields. Ils véhiculent un message de paix, de fécondité et de prospérité.

 

 

• Usages

A l’origine, le Ndop, considéré comme tenue traditionnel d’apparat est associé au symbolisme du pouvoir et aux coutumes funéraires et rituelles.

Quelques usages consacrés du Ndop dans le Groupement Bayangam sont :

• Fabrication des costumes de Roi, notables et membres des sociétés secrètes.
• Linceuls pour la dépouille du Roi et celle de ses notables.
• Décoration des places de cérémonies funéraires et rituelles
• Décoration des musés d’arts traditionnels.
• Décoration des loges royales.
• Confection des tenues des danseurs.
• Habillement des parents du défunt lors des funérailles.
• Fabrication et décoration d’accessoires divers (chapeau, bracelet, foulard, écharpe, colliers, ceinture…)
• Echange de présent en signe d’amitié entre rois.
• Récompense du roi à un sujet valeureux. Pour ses œuvres au sein de la communauté.

 

• Fabrication du Ndop : de l’artisanal à l’industriel

Le processus de fabrication du Ndop passe par plusieurs étapes entre le Nord et l’Ouest Cameroun. Tout commence au Nord par la culture et la récolte du coton. Ensuite, les tisserands nordiques procèdent au filage et au tissage manuel d’épaisses bandes rubans d’environ 5 cm de large appelé « Gabaga ». Qu’ils vendent aux artisans venus de l’Ouest Cameroun.

Une fois à l’ouest, ces artisans assemblent bord-à-bord les pièces de ruban, puis décorent la toile abstenue par des motifs cousus à poings serrés au fil de raphia imperméable. Les pièces brodées retournent au Nord pour teinture dans l’indigo et séchage.

De retour à l’Ouest, les fils de raphia sont décousus par les artisans et les motifs blancs de la décoration apparaissent alors sous un fond bleu indigo.

Ce processus d’élaboration artisanale et originel du Ndop est long, fastidieux et engendre des coûts de production très élevé. Le produit final a de ce fait une valeur inestimable.

De même que plusieurs autres savoir-faire artisanal, la fabrication du Ndop, de sa conception à sa réalisation n’a pas échappé à l’industrialisation. La technique artisanale a progressivement laissée place à un procédé industriel moins contraignant, qui inonde nos marchés avec un tissu plus léger, imprimé par série ou par collection (Bantou ; Afritude…) avec une valeur marchande à la portée du commun des mortels. Cependant, le résultat final est moins élaboré.

Une tentative de classification nous a permis de recenser trois (03) catégories de Ndop à ce jour :

• Le Ndop Original ou originel qui est une œuvre artisanale de la conception à la réalisation.
• Le Ndop semi-artisanal ou semi-fini dont l’élaboration associe à la fois le savoir-faire artisanale et les technologies modernes.
• Le Ndop industriel qui est une pâle reproduction de l’artisanal, ne devant parfois sa dénomination « Ndop » qu’à ses motifs et symboles inspirés du vrai Ndop.

Pour chaque catégorie, il en existe encore des nuances dépendamment de la qualité du tissu, de l’iconographie ou de la couleur.

• Impact de l’industrialisation sur la perception du « Ndop » :

Du symbole culturel extraordinaire à un vêtement commun ordinaire.

L’une des principales difficultés que rencontre le Ndop de nos jours est liée à la mise en avant par certains artisans de sa valeur marchande, au détriment de sa valeur symbolique traditionnelle. Effectivement, cette mise en scène qui vise à défendre la tradition a induit un effet pervers important. Le Ndop est alors devenu en objet commercial. Perdant son attrait artistique et surtout sa fonction symbolique.

Il suffit de se rendre à n’importe lequel  des obsèques au village pour témoigner sur des étals et parfois à même le sol des accessoires de Ndop des marchands à la quête de leur pitance quotidienne, offrant pour quelques poignées de CFA ce joyaux patrimonial au premier venu sans s’en référer à sa charge traditionnelle.

Il n’en demeure pas moins que plusieurs groupes et associations en ont fait leur accoutrement de ralliement et de distinction. Boubou ; foulard ; chapeau ; écharpe ; … en ndop originel sont entre autre gadgets adoptés comme vêtement de réunion avec lequel les membres desdites associations se pavanent aussi bien dans les milieux professionnels que traditionnels sans se soucier s’ils sont traditionnellement éligible à l’arborer.

Observons également cette autre dérive flagrante d’une minorité de dignitaires éligibles à se vêtir du vrai ndop, qui, plutôt que d’en faire une tenue d’apparat, en ont fait un vêtement de plaisir, de loisir, de maison et parfois même de plantation.

Face à ces nouveaux usages émergeants déviants, une seule question nous intrigue à savoir : « ces nouveaux usages émergeants du Ndop et ses accessoires sont-ils conforme à notre tradition ? »

Jadis considéré comme un objet précieux issu de l’imaginaire des Hommes, le Ndop à travers ses motifs, ses dessins et ses couleurs raconte l’histoire des peuples. Il transmet des messages et contribue à établir dans notre communauté des différences sociales entre les autorités traditionnelles dépositaires de la tradition et le peuple. Cette perception originelle du Ndop est mise en péril de nos jours.

La production industrielle massive dont le but est de valoriser ce tissus en réduisant les coûts de production a considérablement dégradé la qualité du tissus et négativement impacté sur sa perception faisant de ce patrimoine culturel extraordinaire un simple vêtement ordinaire.

CONCLUSION

La production industrielle massive a proliférée dans nos marchés une abondante panoplie de Ndop et accessoires bon marchés, aux nuances de fond et de motifs variants. Les créateurs de mode contemporains ont surfés sur ce tableau pour valoriser et vulgariser leurs savoirs faire artistiques à des fins pécuniaires. Cette évolution des techniques artisanales vers les technologies industrielles n’a pas été sans conséquence sur la qualité du produit, ses usages et surtout sa perception actuelle. Le Ndop industriel apparaît beaucoup moins élaboré que le Ndop artisanal et plutôt qu’un patrimoine culturel symboliquement chargé, il est perçu de nos jours dans notre communauté comme un simple vêtement de galanterie et de mode. Vous conviendrez avec moi que s’habiller avec un vêtement fait en tissu Ndop devient 1^e tendance.

Si sous d’autres cieux notamment en occident certains objets ne sont pas frappés d’interdits, il n’en est pas le cas au sein de la communauté Bayangam où il est de notoriété publique que les membres de la communauté ne peuvent utilisés le Ndop comme accoutrement ordinaire. Sa forte charge symbolique en fait un objet circonstanciel.

Bien qu’il soit autorisé au citoyens Lambda de l’arborer lors des rituels funéraires et même en milieu socio-professionnel, il est fortement déconseiller de se vêtir de Ndop originel ou d’arborer ses accessoires dans un milieu traditionnel, si l’on n’est ni « Fô », ni « Kam », ni membre d’une caste ou d’une société secrété.

Lots of thanks for our kindly attention and much beautiful things for us on this ending year.

 

[Sources]

• Journal du FENDA 2021 : 1^ère edition du Festival National Ndop Dérivés et Accessoires
• https://WWW.karioska.fr